Tout commença une nuit d'Octobre, alors que la pleine lune dardait ses rayons d'argent sur les plaines dévastées... Elle était là, tranquille, elle semblait attendre, attendre quelqu’un ou quelque chose. L’herbe s’agitait doucement au gré des courants d’air, et chaque souffle faisait frémir les brins futiles et volages baignés de la lumière blanche et rassurante de l’astre lunaire. Une odeur de quiétude planait sur les environs, comme un parfum de suspension. Le temps avait peut être lâché pendant quelques instants, nul ne le sait vraiment, mais rien ne venait troubler le balancement régulier des brins d’herbe et la longue veille de la lune. Le disque plein semblait impassible, presque endormi, et les nuages ne s’en approchaient pas. Il régnait de toute sa splendeur dans le ciel mis à nu. Une cigale se mit à chanter, d’une vois frêle et aigre, presque impalpable. Le silence accueillit sa maigre prestation. Toute la campagne semblait en deuil, et le temps semblait lui parti en vacances. Ou au cimetière.
Le cimetière. Il était à quelques mètres, et pourtant on ne le voyait presque plus, noyé par les ronces et les fougères fertiles. Quelques tombes rongées par le temps et l’usure émergeaient parmi les pissenlits et les branches mortes. Les pierres avaient roulé sur le côté, formant un espèce de cercle maudit, un cercle échappé du temps qui encerclait cette centaine de mètre que la lune gardait précieusement. Une terre qui n’avait pas été foulée, vierge de toute présence humaine depuis fort longtemps.
Et la lune attendait toujours, et le temps était toujours en suspens, et cela depuis des années et des années.
Mais cette nuit d’Octobre là, une petite silhouette se dessina à l’horizon. Une petite fille d’environ sept ans, peut être un peu plus, dos à la forêt, le visage baigné lui aussi par la lumière de la pleine lune. La lune était toujours pleine, à cet endroit, et la petite fille s’avança, comme hypnotisée par cette clarté blanche. Ses parents lui avaient bien interdit de venir, oui, ils lui avaient formellement interdit même, mais elle avait désobéi, et puis elle était sortie de chez elle parce que elle n’aimait pas sa belle mère aux ongles pointus, cette belle mère qui les avait entraînés dans ce village perdu au milieu de tout. Elle n’avait pas le droit de venir dans ce vallon, son père l’avait menacée de mort même. Mais elle ne voulait pas vraiment y aller, enfin elle ne comptait pas aller plus loin que la lisière de la forêt, et puis la clairière, et puis le gros tronc noueux, et puis cette lumière l’attirait et oh, j’aimerais bien voir un peu, ne serais ce qu’un tout petit peu… si je ne fais que regarder, ils ne pourront rien me faire de mal…
Elle avait contourné les panneaux avertissant du danger, bravant les superstitions, elle avait quitté la forêt et dévalé le coteau verdoyant.
Elle posa le pied dans le cercle maudit et se mit à marcher. Les tombes dévoilaient des noms divers, des noms inconnus. Elle s’agenouilla près de celle qui avait été la plus épargnée par les ravages du temps qui passe. Elle était en pierre dure, des herbes fanées l’encerclaient sans grimper sur elle, et une photo était clouée dans le granit. Le visage d’une enfant guère plus âgée qu’elle, qui lui ressemblait un peu. Elles avaient les mêmes yeux, peut être, peut être la même flamme au creux des pupilles. Et cette aura qui se dégageait de ce portrait, c’était impressionnant. N’importe qui aurait pris ses jambes à son cou, mais la petite resta calme et ne bougea plus. Immobile devant le papier glacé, devant cette enfant figée à jamais sur un sourire morbide.
Il était minuit. Elle ne le savait pas, mais il l’était tout de même, un clocher sonna les douze coups au loin dans la montagne, mais elle ne l’entendit pas. Un corbeau se mit à croasser. Tout était silencieux dans le petit cimetière.
Et puis… Et puis l’enfant se releva. Bizarre, comme une automate, ses gestes étaient saccadés. Ses yeux se révulsèrent et elle se mit à hurler. Son cri se répercuta en écho dans toute la vallée mais fut englouti par le cercle brillant de la pleine lune. Un instant plus tard, tout le coteau était illuminé de l’aura malfaisante qui s’échappait de l’enfant debout, droit au milieu du cercle maudit, et la lune qui grandissait, qui grandissait, et le cercle explosa et les pierres, tels des boulets de canons, s’envolèrent dans les airs jusqu’à ce que l’enfant les perde de vue, mais l’enfant ne les regardait pas, l’enfant ne regardait plus rien, l’enfant n’était plus là.
D’ailleurs, il n’y avait plus de cimetière non plus.
Il n’y avait plus rien.
Plus rien, sauf les secondes vibrants sur la mandoline du temps, à jamais suspendues comme des gouttes de lune.
>>> Deuxième partie
Mar 20 Fév - 18:01