Cinquième PartieMalade... à en mourirIl fait sombre. Trop sombre. J’ai l’impression d’être plongée dans un fournil, la chaleur en moins. Je n’aurais pas du me lever de mon lit, je n’aurais pas du quitter ma chambre douillette, mais c’était plus fort que moi. Je me sens trop mal. Une douleur cruelle qui me lancine au plus profond de mon corps. Cela fait presque une semaine que je ne mange plus rien, et tout le monde s'inquiète. Il y a beaucoup de banquets en ce moment, car c’est la semaine de la Capture, cette semaine mythique où les vampires ont a jamais triomphé sur les humains, c’est Violine qui me l’a raconté.
Je ne vois le soir que des dizaines et des dizaines de corps nus et glabres sur des plateaux de corail et de cristal, je vois les couteaux s’enfoncer dans la chair, je vois les coupes de verre fin qui s’entrechoquent et le vin rouge qui coule à flot, mais ce n’est pas du vin… Je revois encore tous ces banquets où je suis restée immobile, ne pouvant toucher aux plats, et je faisais des petites boulettes de pain avec mes doigts que j'étais incapable d'avaler, tandis que Violine me regardait d’un air étrange. Une fois, elle m’a forcée à manger car mon air nauséeux lui fait pitié, mais lorsque j'ai senti l'odeur j'ai failli renvoyer mes intestins sur la nappe. Je suis sortie de table en courant.
Je n'arrive plus à manger depuis plusieurs jours, mon estomac est noué.
Les autres soirs, lorsqu’il n’y a pas banquets, je suis attablée avec Violine, qui m’a expliqué que si nous abusons trop de viande humaine, alors que je lui posais la question, nous risquerions de tomber gravement malade. Nous avons donc de la soupe de légumes, du pain, du fromage, des pâtes, des tartines de foie, et pour le dessert de la compote ou bien des tartes. Mais je n'arrive pas à manger non plus. Mon estomac est en grêve.
Je me sens mal. Il m'arrive parfois d'être prise également de vertiges sans que je sache pourquoi.
J’avance dans le corridor, à pas de loup pour ne pas réveiller la maisonnée. Les murs sont froids et lisses, le carrelage qui dalle le couloir l’est aussi et il me faut avancer doucement pour ne pas glisser et tomber. J’ai été obligée de questionner Violine pour savoir où se trouvait la cuisine, car je pense savoir ce que je pourrais prendre pour retrouver l'appétit. Ildiwa, Sa Majesté la mère de Violine et ma mère adoptive, est certaine que je contracte une maladie en raison de ma confrontation avec le rayon de lumière il y a deux mois, et a fait venir bon nombre de médecins, qui m’ont prescrit des listes de médicaments rocambolesques. C'est sûrement ça. Mais les traitements ne me sont d'aucun effet. C'est pour ça que j'ai choisi d'aller chercher mes médicaments moi même. J'ai encore quelques souvenirs des recettes guérisseuses de ma mère.
J’entends des pas dans l’escalier. Vive comme l’éclair, je me plaque contre le mur. Il est froid, j'en ai la chair de poule, comme si une vague de glace me parcourait l'échine. Si je me fais voir à une heure aussi tardive, il me faudra balbutier une excuse qui sera comme je le prédis d’avance bancale, et après adieu l'espoir de guérir et retour au lit encore plus malade. Les pas se rapprochent. Lentement. Sûrement. Je me fais la plus petite possible en priant pour qu’on ne me voie pas. Les ténèbre se resserent autour de moi, je ne vois strictement rien. Une ombre me frôle, se retourne et je vois ses yeux qui brillent dans l’obscurité, comme deux gros saphirs flamboyants. Je me tasse de plus en plus sur la paroi lisse sur laquelle je suis appuyée. Un petit grattement me fait sursauter, c’est une allumette qu’on manipule, et puis une flamme se met à danser devant mes yeux. Amilaya. Je la reconnais de suite. La bonne et gouvernante de Violine. Une petite lueur méchante passe dans ses yeux de verre, ses yeux de vipère qui me font frissoner d'effroi. Je vois ses doigts qui se rapprochent, qui m'agrippent, et sa main se resserre sur mon épaule. Et puis elle susurre d’une voix morbide et légèrement haut perchée :
« Je vais te tuer… »Elle se penche vers moi, son haleine me frôle, je sens mon cœur rater un battement tandis que le sien résonne près de mon cœur. Pendant quelques secondes, je n'ose plus respirer, je ne suis qu'une arbalète tendue, je ne suis plus raccrochée qu'à quelques secondes de vie. Précieuses. Je voudrais les saisir au vol mais mon bras reste raide, le long de mon corps, paralysé par la peur qui me prend toute entière, qui s'infiltre en moi comme un lent poison. Je sens le souffle régulier, brûlant, fiévreux, d'Amilaya sur mon visage, je ferme les yeux, dans une attente irrésistible, insoutenable.
Et puis tout devient noir et je ne sais plus ce qui se passe.
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Dim 22 Avr - 13:30